samedi 11 février 2012

« Solidarité »
Discours de clôture de François Bayrou – Maison de la Chimie – 11 février 2012
(Seul le prononcé fait foi)
Chers amis,
Cette journée intervient à un moment clé de la campagne électorale. C'est une heure de
vérité.
Dans son intervention d'hier, Nicolas Sarkozy dit « valeurs ». Précisément, c'est valeurs
contre « valeurs ».
Si l'on me demande en un mot, un seul mot, de dire quel est le but ultime de la société que
nous voulons construire, je répondrai « humanisme ».
L'humanisme est un projet à part entière. Il considère que la personne humaine, dans son
émancipation des aliénations qu'on lui impose, dans sa liberté, dans la reconnaissance
qu'on lui doit et qu'elle doit aux autres, dans son bien-être, dans sa capacité créatrice, est
l'horizon des sociétés dans lesquelles il vit.
On vit ensemble, bien sûr, et c'est nécessaire, et l'être humain ne peut pas se développer
dans la solitude. Ni lorsqu'il est enfant, ni même lorsqu'il est adulte : son travail, sa vie de
famille, sa vie civique se déroulent dans des familles, dans des amitiés, dans des
entreprises, dans des communautés de destin. Il vit beaucoup par le regard et la
reconnaissance des autres.
Mais c'est sa réalisation personnelle qui au bout du compte signe l'accomplissement de sa
vie. Non pas seulement le bonheur, notion que je n'aborde qu'avec prudence et retenue,
mais sa liberté de pensée, son jugement, les conditions matérielles de sa vie et de celle de
sa famille, un certain équilibre personnel, et s'il se peut la transmission aux générations qui
viennent de ce qu'il a de précieux.
Or nous croyons que tout cela n'arrive pas par hasard. Tout cela est aussi le fruit de notre
vie en société, de la bonne santé d'un pays, du bloc de certitudes que nous partageons et
qui nous font vivre ensemble.
Et nous pensons qu'humanisme signifie nécessairement et en même temps liberté et
solidarité.
La liberté n'est pas un acquis. Elle se construit. Et elle se construit si l'on y réfléchit bien
contre les tendances naturelles de l'humanité. Ce qui est naturel, si on laisse faire, ce n'est
pas la liberté, c'est l'esclavage, la domination, l'aliénation. La liberté se gagne, par des
conditions matérielles de dignité de logement, de santé, de revenus, mais elle se construit
et se protège par la loi, se construit et se protège par la culture et par les droits.
La solidarité n'a rien de naturel. Ce qui est naturel, c'est l'égoïsme. La solidarité exige le
partage, l'élaboration de mécanismes de soutien et d'alerte.
La liberté et la solidarité sont donc les fruits de politiques, décidées en commun, soutenues,
encouragées et parfois conduites directement par la puissance publique.
La France est ce pays, qui sous le nom de République, a fait de l'humanisme son idéal
national.
La République libère de toutes les dépendances et garantit le vivre ensemble : c'est
pourquoi elle protège les consciences par la laïcité.
La République n'abandonne pas les plus faibles : c'est pourquoi elle a construit des
sécurités, assurance-maladie, assurance vieillesse, assurance accidents du travail, assurance
chômage.
La République investit dans l'avenir : c'est pourquoi elle a porté la politique familiale la
plus déterminée de tout le monde occidental. C'est pourquoi elle considère que l'école,
dont nous avons parlé ici même la semaine dernière, est l'alpha et l'omega de son projet.
La République sait que la solidité d'une chaîne se juge à la solidité de son maillon le plus
faible : c'est pourquoi elle considère le handicap et la dépendance comme son affaire, la
lutte contre la précarité comme son affaire.
Voilà nos convictions. Elles ont été portées, avec constance, au travers du temps par les
courants de pensée démocrates et républicains.
Or ce qu'on nous propose aujourd'hui, ce que Nicolas Sarkozy présente comme
« valeurs », c'est à mes yeux la négation d'un certain nombre de valeurs qui sont celles de
la France.
L'idée, pour gagner des voix, d'un référendum organisé sur le droit des chômeurs, c'est la
négation de ce qu'un chef d'État doit à un pays comme la France.
Ce ne sont pas les chômeurs qui sont responsables du chômage : ce sont les gouvernants. Il
y a peut-être des abus en leurs rangs, il y en a probablement, mais pas plus que dans le
monde de la finance, pas plus que chez certains élus, abusant de fonds publics ! S'il y a des
abus il faut les corriger, mais pas en faisant des chômeurs le symbole des dérives d'une
société dont ils sont plus souvent les victimes que les coupables !
Vous voyez ce que référendum veut dire : le référendum, chaque fois que le sujet est
passionnel, c'est l'assurance de faire flamber les passions. Et lorsque le sujet du
référendum, ce sont des personnes, chômeurs ou étrangers, alors c'est contre ces personnes
que les passions flambent. Pour obtenir le « oui » il faudra exposer des exemples d'abus.
C'est contre le voisin qu'on votera. Contre le voisin d'immeuble, le voisin de palier.
Les hommes politiques ne devraient pas s'y prêter. Les hommes d'État devraient se
l'interdire. Le Président de la République plus que tout autre. Car sa fonction, c'est avoir
charge de tout un peuple, non pas pour le diviser, mais pour l'unir.
Aucun des présidents de la République précédents, aucun, ni Charles de Gaulle
évidemment, ni Georges Pompidou, ni Valéry Giscard d'Estaing, ni François Mitterrand,
ni Jacques Chirac n'aurait accepté une telle perspective.
Et qu'y a-t-il derrière cette orientation : il y a l'idée que c'est l'électorat de l'extrême droite
qui constitue le grand grenier à voix. Il y a que c'est en jouant de cette corde : « les
chômeurs ne foutent rien… », et « les étrangers, voilà la question », que l'on peut puiser
dans cet électorat. Il y a que la fin justifie toujours les moyens.
J'affirme qu'aucun des hommes ou des femmes du centre, ou qui ont eu les convictions du
centre, même s'ils sont passés à l'UMP, ne peut accepter cela. J'affirme que la droite
républicaine française, pas plus que la gauche, ne peuvent l'accepter. Chaban et sa
nouvelle société ; de Gaulle et la participation ; les libéraux qui attachent un si grand prix à
la sagesse de la loi : aucun d'entre eux ne peut se taire quand il voit à quels ressorts on veut
faire appel.
Parce que les moyens ne sont pas différents du projet ! Le projet est dans les
moyens comme l'arbre est dans la graine.
Le moment est venu de lancer un appel : je le dis à tous ceux, au centre, dans la majorité ou
dans l'opposition, je dis à tous les Français qui ont une certaine idée de la France, qui sont
des républicains et qui sont des humanistes, qu'il y a des choses qu'on n'a pas le droit de
laisser faire ou de laisser dire, qu'il y a des directions qu'on n'a pas le droit de laisser
prendre. Il est un moment où la politique s'arrête, les intérêts politiques, les intérêts de
camp ou de parti, et où commence la défense de l'essentiel ! La défense du monde qu'on
veut transmettre aux enfants !
Quand un homme exerçant les fonctions de président de la République, en annonçant sa
candidature, dit : je ferai deux référendums, l'un sur les chômeurs, l'autre sur les étrangers,
il ne parle pas d'améliorations, de lois, de règlements, il donne à entendre, volontairement,
à une société en mal d'être que l'étranger et le chômeur sont les deux responsables de la
maladie du pays.
Eh bien, je regrette d'avoir à lui dire ceci : nous sommes la société, nous sommes la
civilisation, puisqu'ils aiment tant parler de civilisation, nous sommes depuis deux mille
ans, la civilisation qui refuse de faire de l'étranger et du chômeur les coupables de nos
maux. La civilisation qui refuse de faire du faible le responsable des mauvais choix des
forts.
Eh bien nous allons montrer que les héritages dont nous avons la charge, que ces valeurs
précisément, elles doivent être défendues, et elles doivent être défendues non pas par
d'autres, mais par nous !
Nous allons montrer que l'humanisme ne se divise pas ! Nous allons montrer que
l'humanisme sait se battre ! Nous allons réarmer l'humanisme comme force de combat !
Cela a du sens d'aborder ce sujet au moment même où le modèle social est au centre de
nos débats.
Parce que, contrairement à ce que l'on croit, le modèle social, ce n'est pas seulement « du
social ». Le modèle social, c'est l'idée que nous nous faisons, de notre destin commun.
Comment surmonter les difficultés des uns par la solidarité avec les autres ? Comment
partager lorsqu'il faut partager ? Comment transmettre lorsqu'il faut transmettre ?
Comment être juste ?
Je voudrais vous faire partager un certain nombre de convictions, qui sont pour moi
fondatrices.
Notre modèle social, c'est d'abord dans la lutte contre la précarité qu'il faut le juger.
Je crois profondément qu'une société se juge par le traitement qu'elle réserve aux plus
faibles de ses membres.
Globalement, notre société s'est enrichie, mais aujourd'hui, huit millions de personnes
vivent sous le seuil de pauvreté, dont deux millions d'enfants ; et cette pauvreté se
concentre plus particulièrement sur les jeunes, sur les femmes, sur les habitants de certains
quartiers urbains, sur les personnes qui vivent avec une petite retraite. Elle touche même
maintenant des personnes qui travaillent, mais qui enchaînent les contrats précaires et
n'arrivent pas à joindre les deux bouts. C'est le résultat de la pénurie de logements et de
l'envolée des loyers, de la ghettoïsation de certains quartiers, et surtout d'années de
désindustrialisation et de chômage.
Nous ne réussirons pas sans prendre à bras le corps la question de l'emploi et du logement.
Et c'est pourquoi je parlerai tout à l'heure du logement, qui est devenu maintenant, par la
force des choses, une urgence sociale, pas seulement pour les plus démunis, pour une part
très importante des Français.
Mais à côté de ces politiques de fond, nous devons aussi mener une action spécifique
envers ceux qui vivent dans la précarité. Car c'est justement cela l'exclusion : même si
nous produisons davantage de richesses, même si nous avons mis en place des filets de
protection sociale importants, une partie de nos compatriotes est aujourd'hui littéralement
laissée sur le bord de la route.
Je veux vous faire part d'une conviction, qui est un aussi un principe de méthode. C'est
que face à ces situations d'exclusion, seules les démarches individualisées fonctionnent.
Jusqu'ici, les candidats à la présidence se sont souvent engagés dans des promesses
générales, et parfois intenables : zéro SDF, zéro SDF dans la rue en deux ans, réduire la
pauvreté de 30% en cinq ans…Je ne dis pas que ces objectifs ne sont pas estimables, je ne
dis pas qu'ils ne sont pas bien intentionnés. Mais je pense que l'heure n'est pas aux slogans
généraux. La priorité est de mettre en place une démarche systématique
d'accompagnement individuel pour les personnes en difficulté.
Car les instruments existent : compétence sociale et protection de l'enfance des
départements, caisses de sécurité sociale, pôle emploi, organismes de HLM, missions
locales, associations d'aide. Ce qui manque, c'est la possibilité pour les personnes en
difficulté de faire l'objet d'un diagnostic, d'être orientées et de ne pas être renvoyées de
guichet en guichet dans des problèmes administratifs insolubles.
L'Etat a une responsabilité particulière pour coordonner ces financements et ces
dispositifs. Il doit retrouver son rôle de garant en dernier ressort. Face à ce qui constitue
une urgence nationale, je crois que les sous-préfets, fonctionnaires d'autorité au plus près
du terrain, doivent se voir attribuer une nouvelle mission. Je souhaite qu'ils reçoivent les
moyens et la formation nécessaires pour être des sous-préfets aux solidarités. C'est-à-dire
qu'il leur reviendra de jouer systématiquement le rôle de coordinateur et de médiateur afin
de déboucher sur des solutions pratiques et individualisées, pour l'hébergement des SDF,
pour les situations de surendettement, pour la réinsertion des détenus ou encore pour l'aide
aux familles monoparentales - qui sont le plus souvent des femmes seules qui ont un
besoin urgent de trouver un mode de garde.
Dans cette fonction de mise en réseau, ils devront respecter le rôle de chef de file du
Conseil général, qui exerce désormais les principales compétences en matière sociale,
notamment pour la protection de l'enfance, le RSA ou la dépendance. Mais ils devront
aussi, avec toute l'autorité de l'Etat, être capables de convaincre pour fédérer toutes les
ressources des organismes de HLM, des caisses de sécurité sociale et des associations.
L'enjeu, c'est de permettre à ceux qui sont sortis des circuits administratifs de pouvoir
prendre un nouveau départ.
La vraie solidarité, c'est de trouver et de garder un travail.
Chacun comprendra à quel point cette affirmation est vraie et à quel point elle est liée à
notre choix du « produire en France » comme thème principal de campagne. Les seuls
emplois d'avenir, ce sont les emplois liés au besoin d'une entreprise en développement,
dont les carnets de commande permettent et exigent des embauches nombreuses.
Il demeure qu'il est bien des obstacles au plein exercice de l'emploi en France, bien des
emplois sans personne, en face de personnes sans emploi. 400 000 emplois non pourvus en
France, en face des 2 500 000 personnes au chômage intégral.
Il est une première question qui est une question d'orientation. Je ne connais rien de plus
attristant que ces jeunes, innombrables, que je croise, venus des quartiers, qui viennent
nombreux à mes réunions, qui n'ont aucune solution d'emploi et qui refusent des emplois
existants et bien payés, par exemple dans le bâtiment. Pourquoi les refusent-ils ? Parce que
ce sont des métiers physiques, et qu'ils ressentent, ils disent « fatigants » mais je crois
qu'ils pensent « dévalorisants ».
Nous avons un problème de connaissance des métiers et de reconnaissance des métiers.
L'orientation ne peut pas être seulement une orientation scolaire. Elle doit être une
orientation vers l'emploi, vers le métier, de l'école à l'emploi, de l'inactivité à l'emploi. Je
propose une Agence nationale de l'Orientation qui sera chargée d'organiser, de fédérer le
maquis, le « souk », le labyrinthe que représentent CIO, BIJ, PIJ, CRIJ, missions locales,
ANPE, APEC, AFPA, etc, le « souk » que représente l'orientation pour un jeune qui n'a
pas trouvé la porte d'accès à un emploi qui le satisfasse.
Nous avons un problème avec le contrat de travail : nous sommes le pays d'Europe qui a le
record du nombre de CDD et de contrats précaires, à temps partiel. Le contrat de travail
normal, ce doit être ou redevenir le CDI. Les CDD doivent être strictement réservés aux
cas prévus par la loi, missions à durée déterminée et emplois saisonniers, et non servir la
flexibilité de l'entreprise.
Je proposerai aux partenaires sociaux, sans toucher aux contrats de travail déjà signés, de
réfléchir à une simplification du contrat de travail, et même d'un contrat unique, à durée
indéterminée, qui pourrait être interrompu avec indemnités fixées à l'avance, suffisamment
généreuses pour apporter à tous les salariés une garantie progressive, au moins du niveau
de ce qu'accordent en général les prud'hommes.
Face aux mutations économiques et à la crise, il faut créer un droit effectif à la formation
tout au long de la vie. Ce droit effectif, matérialisé par l'ouverture d'un compte formation
continue, pourra être activé par le salarié lorsqu'il rencontrera des périodes de chômage
partiel ou continu, avec pertes de salaire limitées.
Pour financer ces changements, s'impose une remise à plat des crédits dispersés de la
formation professionnelle, 25, 30 milliards, on ne sait plus… La situation de désordre,
d'opacité, dénoncée par la Cour des Comptes il y a deux ou trois ans n'a pas vraiment
évolué. S'il est un secteur où l'on est certain que des masses très importantes d'argent
public pourraient être mieux utilisées, la formation professionnelle en est un ! On ne sortira
pas du désordre sans que soit mise en place une institution de coordination, préconisée par
la cour des Comptes, une Agence nationale dont la mission serait de transparence et de
stratégie, de mise en ordre de ce secteur.
L'avenir de la protection sociale, notamment pour la santé et la retraite, c'est la
justice et l'équilibre des régimes.
Rien n'est plus obscène que de mettre le remboursement de nos ordonnances sur le compte
de nos enfants ! Alors qu'ils auront à porter le poids toujours plus lourd de nos
retraites futures !
Je ne crois pas du tout que la réforme du régime de retraites soit achevée. Un pas a été fait
qui permet de durer quelque peu, mais on n'est pas au bout du chemin, ni en termes de
financement de long terme et pas davantage en termes de justice.
Depuis dix ans, depuis 2002, je préconise la construction d'un régime de retraites par
points, ou pour le dire en langage plus choisi un régime de retraites par répartition, fondé
sur des comptes individuels retraçant précisément les droits acquis par le salarié.
Cette réforme majeure et définitive, à laquelle de grandes organisations syndicales sont
elles aussi parvenues, a plusieurs avantages :
- les comptes des régimes de retraites sont obligatoirement équilibrés entre
cotisations et pensions.
- Pour les assurés, la transparence est garantie : à tous moments, le salarié sait où
il en est, ce que sont ses droits, ce que sera sa pension en fonction de la date de
son départ.
- Il est plus juste, car il peut prendre en compte différemment les travaux
pénibles, difficiles, astreignants, les travaux de nuit ou les travaux
physiquement lourds, et les activités qui sont moins pénalisantes pour la santé.
- Il donne la liberté : chacun peut choisir de partir plus tôt ou plus tard, en
fonction de ses choix ou de sa vie, ou encore de cotiser davantage pour racheter
des points. À terme, on peut même sans difficulté envisager la suppression de
l'âge légal fixé pour le départ à la retraite.
Dans le système actuel, les salariés ne savent pas à quel âge ils pourront prendre leur
retraite, avec quel niveau de pensions, ni même, c'est la crainte de beaucoup d'entre eux,
s'ils pourront avoir une pension de retraite. Je veux être garant d'un vraie architecture des
retraites, pour l'avenir, au-delà même des responsabilités que nous exercerons, de manière
définitive, et pour cela les réformer, en tenant compte de tous les droits acquis, avec le
délai nécessaire pour éviter les à-coups brutaux.
Reste le problème lancinant des toutes petites retraites, des retraites à 400, 500 ou 700 €. Je
l'ai dit aux retraités agricoles, le plan de rééquilibrage doit se poursuivre avec des objectifs
inscrits dans la nouvelle loi-cadre que nous ferons adopter sur le principe d'une réforme
des retraites.
Pour la santé non plus, ni l'équilibre, ni l'équité ne sont aujourd'hui garantis. Je dis en une
seule phrase que rien ne justifie que notre système de santé, excellent, coûte 12 % du PIB
avec des médecins et des professionnels de santé moins bien payés que leurs confrères des
pays comparables, une grande insatisfaction des professionnels et, assez souvent, en tout
cas dans la vie quotidienne, des difficultés croissantes pour les patients.
Il faudra donc une réflexion en profondeur. Et je veux commencer par l'équité et
notamment l'équité entre territoires. La loi HPST, les nouveaux modes de gestion de
l'hôpital, la place faite aux médecins et aux personnels de santé, tout cela a entraîné une
profonde démoralisation.
Démoralisation des médecins de ville, qui ont si souvent le sentiment d'être assaillis
d'obligations administratives, et d'avoir moins de temps pour l'acte médical.
Démoralisation à l'hôpital : l'un d'eux me disait : « vous savez, on a l'impression qu'on ne
gère plus des malades, on gère des lits ! » S'il est un secteur de la vie du pays où le
sentiment d'être incompris, de parler des langues différentes entre gestionnaires et
praticiens est dominant, c'est bien celui de la médecine et de la santé.
Le recentrage de la vocation de médecin sur la médecine, sur l'acte médical, telle sera ma
ligne de conduite et celle que je fixerai au gouvernement. Je ferai tout ce que je pourrai
pour que les décideurs, les pouvoirs publics, comprennent la vocation médicale de
l'intérieur, la vocation des personnels de santé de l'intérieur.
Les déserts médicaux sont impossibles à accepter pour une société comme la nôtre. La
politique d'incitation par des bourses, que j'ai soutenue lors des échéances précédentes, a
montré ses limites. Quelques centaines de places seulement ont pu être attribuées. Je pense
qu'il faut une politique active de suppression des déserts médicaux.
Je fais une proposition novatrice : je suis prêt à élargir le numerus clausus, par la
négociation, contractuellement, en fléchant un certain nombre de postes vers des
affectations temporaires (pour quelques années), là où on en aura le plus besoin.
De la même manière, la carte des services, notamment des services d'urgence et de soins
ambulatoires, des services de maternité par exemple, doit prendre en compte les territoires.
Je suis opposé à la fermeture autoritaire des maternités de proximité. Lorsqu'il s'agit de
plateaux techniques nécessitant des investissements très lourds, je comprends bien qu'on
les traite en réseaux, qu'on les réserve à des unités très opérationnelles. Mais fermer une
maternité parce qu'il lui manque cent accouchements par an, un tous les trois jours, pour
correspondre aux normes, c'est absurde. Il est des services de proximité, l'urgence, en
particulier l'urgence cardio-vasculaire, le soin ambulatoire, la maternité, et il appartient à
une société dont l'humanisme est la vocation de les garantir à tous les malades de tous les
territoires.
La gestion de l'urgence est un problème pour la vie urbaine et rurale contemporaine.
L'urgence téléphonique est utile, sans doute. Mais très souvent, le stress ou l'accident, petit
ou grand, exigent l'intervention ou au moins le regard, la consultation. L'embouteillage
des urgences hospitalières, devenues le recours universel, en est un témoignage. Elles sont
souvent devenues un capharnaüm, faisant face avec beaucoup de dévouement, mais avec
des moyens limités à l'afflux de malaises, parfois de mal-être qui se présentent. Tout cela
est décourageant, et très cher. Je suis favorable, chaque fois que nécessaire, à l'installation,
en amont des urgences hospitalières, de maisons médicales chargées d'accueillir l'urgence,
qui soigneront en premier recours, consulteront, prescriront et orienteront vers les services
hospitaliers les urgences qui nécessitent un tel recours ou des examens approfondis. Ces
maisons médicales d'urgence, dont nombre de départements ont commencé à se doter
regrouperont des personnels hospitaliers et des médecins ou infirmières de ville. Le service
auprès de la personne en consultation sera mieux assumé, mieux garanti, coûtera beaucoup
moins cher. Pour mémoire je vous rappelle les prix respectifs de telles consultations : 240 €
aux urgences hospitalières, 60 € aux urgences ouvertes. Et il y a 15 millions de
consultations aux urgences tous les ans. Meilleur service et économies de près de deux
milliards.
Formation des médecins : ouvrir aussi à d'autres parcours que simplement scientifiques. La
médecine est scientifique, bien sûr, mais elle n'est pas que scientifique, elle est aussi
sensibilité, sens de l'observation.
Les régimes de sécurité sociale doivent être équilibrés. C'est une part importante du retour
à l'équilibre des finances publiques, au sens large, de la nation. Mais il demeure un
problème brûlant. Lorsqu'une personne sortant des minima sociaux n'est plus prise en
charge par la CMUC, elle prend de plein fouet la baisse des remboursements et les
cotisations supplémentaires. C'est dans ces populations que l'on trouve ceux qui n'ont plus
les moyens de se soigner, les abandonnés de la santé. L'Aide complémentaire santé est
utile, mais on pourrait sans doute faire mieux pour ces populations. L'idée du Bouclier
Sanitaire de Martin Hirsch va dans le même sens.
Je veux défendre l'idée d'un bouclier santé. Ce bouclier santé peut être financé en
employant autrement, en gérant autrement, l'argent consacré aujourd'hui à l'aide
complémentaire santé. Mais je veux proposer au pays de réfléchir aussi à un autre système
d'assurance complémentaire qui est en place depuis des décennies sur notre territoire
national, en Alsace-Moselle. Cette mutuelle universelle, qui améliore notablement les
remboursements et les prises en charge, qui est gérée par les syndicats et les organisations
professionnelles, qui est entièrement équilibrée, gérée en lien direct avec l'assurance
maladie offre aux cotisants des résultats exceptionnels et qui méritent d'être examinés. Je
ne dis pas qu'il y ait là la panacée, la solution universelle, je dis qu'il y a une piste et qu'il
faut l'explorer.
Le logement, c'est la clé de l'humanisation de la société.
J'affirme qu'une politique du logement nouvelle doit tourner le dos à la politique de niches
fiscales sans réelle contrepartie qui ont alimenté les défauts de notre politique du logement.
Pour donner l'exemple, lancer un mouvement, concrétiser une volonté, je mettrais en place
un programme de cession des terrains à vocation sociale. Je ferai en sorte que l'État, les
collectivités publiques, les organismes publics mettent le maximum de terrains à
disposition pour la réalisation de programmes comportant des logements locatifs, sociaux
et très sociaux, des logements en accession sociale, sous condition de mixité sociale, donc
comportant aussi des logements à la vente ou à loyers libres, ces terrains étant cédés à un
prix inférieur au prix du marché, dans le cadre d'un contrat, imposant pour les logements
sociaux des prix ou des loyers réellement accessibles.
En ce qui concerne la loi SRU, je définirai un objectif renforcé à 25 % de logements
sociaux pour les zones en tension. Afin, comme le demandait l'Abbé Pierre que « nul ne
s'abaisse à cette indignité de ne pas respecter la loi », j'imposerai que soit réellement mis
en oeuvre, dans les collectivités qui n'agissent pas fortement dans le sens du respect de la
loi, le transfert de compétences locales d'urbanisme, de préemption, et de permis de
construire aux « préfets logement ». En effet, on peut augmenter les amendes tant qu'on
veut, certaines collectivités riches préfèreront toujours payer plutôt que de construire pour
les moins favorisés.
Comme je viens d'y faire allusion, dans les régions à forte tension (Ile de France, Rhône-
Alpes, PACA), je nommerai des préfets chargés du logement et de la cohésion sociale dont
la mission sera de réunir tous les acteurs du logement, agglomération par agglomération,
pour identifier les blocages, les pistes nouvelles et proposer, prendre en mains s'il le faut,
des solutions efficaces.
Je mettrai en place une mutuelle logement, d'initiative publique, chargée de couvrir les
risques locatifs et de remplacer les cautions, en garantissant contre tous les risques
d'impayés ou de dégradations, qui se substituera aux propriétaires lorsqu'il s'agira de
rechercher les responsabilités, qui ne permettra pas de faire n'importe quoi, mais garantira
à tous que les fautes de quelques-uns ne pénaliseront pas l'ensemble.
Je n'oublie pas l'immense effort à faire en matière de réhabilitation des logements
indignes, en matière de lutte contre les marchands de sommeil. Je n'oublie pas le malaise
que doit représenter pour notre société les expulsions avec recours à la force publique sans
solution de remplacement. La mutuelle logement y apportera une réponse efficace et sûre.
Je n'oublie pas que le logement ultra-social est une question en soi. Je défends l'idée que
ce logement, proposé aux plus démunis, devrait être, à la fois, diffusé dans la ville, non pas
concentré mais diffusé, et pour être efficace, organisé en petits ensembles de trois ou
quatre logements avec un hôte ou une hôtesse, chargé de partager avec les personnes
relogées l'immense travail de reconstruction. Une clé dans la poche et une présence.
La dépendance et le handicap doivent faire l'objet d'une politique commune d'aide à
l'autonomie de la personne.
Je m'exprimerai plus longuement sur le handicap. Mais je veux vous dire que ma priorité,
ce sera l'accompagnement humain. Les différentes familles de handicap (moteur, sensoriel,
mental, psychique) demandent des réponses adaptées. Parfois des aides techniques, plus
souvent encore des aides humaines : présence dans des foyers, logement accompagné,
aidants à domicile. Il convient de prendre dans leur ensemble les personnes humaines qui
traversent ces difficultés. On sait dans quelles directions il faut aller : concilier le besoin de
soins, les ressources dignes, le logement, l'accompagnement adapté, et les activités, sans
parler évidemment de la protection juridique. C'est pourquoi le soutien à
l'accompagnement humain permet de faire plus, beaucoup plus qu'aujourd'hui, sans
dépenser des sommes inaccessibles.
Le deuxième axe, ce sera l'effectivité de la loi.
Dépendance : touche toutes les familles.
On ne peut en rester à la situation présente. Il est des seuils différents de difficultés et de
dépendances.
Dans ce domaine plus encore que dans d'autres, les lois et les décrets ne suffisent pas. Ils
doivent être relayés par un programme concerté, construit dans la durée avec l'ensemble
des acteurs.
Ce sera l'objet du plan Face à la Dépendance que je lancerai, qui devra capitaliser sur
l'expérience acquise depuis une dizaine d'années, sur le travail des médecins, des
associations et de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, en faisant jouer tous
les leviers disponibles : recherche médicale et pharmacologique, amélioration de la prise
en charge dans les maisons de retraite et dans les hôpitaux, construction d'une offre plus
abordable pour les familles, appui aux aidants et mise en oeuvre de la solidarité nationale.
Je souhaite vous indiquer quelques principes qui seront au coeur de ce plan.
Premièrement, il devra pleinement prendre en compte l'engagement des aidants, c'est-àdire
des proches et de la famille. Leur activité est un travail à part entière. On oublie trop
souvent que la maladie touche la personne malade, mais affecte aussi tout son entourage.
La question des financements est pour moi primordiale. Vous ne serez pas surpris si je
vous dis qu'elle doit s'inscrire dans le respect de l'équilibre des comptes : si les réformes
annoncées dans ce domaine ont été sans cesse repoussées depuis cinq ans, c'est parce que
l'on a fait trop de promesses inconsidérées sans se soucier de leur financement.
Aujourd'hui, lorsqu'une personne âgée entre dans une maison de retraite médicalisée, elle
doit supporter avec sa famille un reste à charge important, de l'ordre de mille euros,
souvent bien plus, et plus encore en région parisienne. Dans le respect de l'équilibre des
comptes, nous devrons mettre en oeuvre un nouveau mode de financement pour réduire ce
reste à charge, en tirant tout le parti possible de la solidarité nationale et de la mutualisation
du risque.
Je pense aussi que les pouvoirs publics ont la responsabilité de susciter une offre à meilleur
coût, correspondant au véritable niveau des retraites, en privilégiant dans l'attribution des
nouvelles places les projets d'établissement qui proposent un prix de journée modéré. Je
souhaite également que la Caisse des dépôts et des consignations puisse, en coopération
avec les collectivités locales et le secteur associatif, participer à la construction d'une prise
en charge plus abordable pour les familles.
Malades très lourds, médicalisation.
Au bout du compte, il conviendra d'inciter fortement ou de rendre obligatoire, à partir d'un
certain âge, pas trop tardif, une démarche de prévoyance qui combinera solidarité nationale
et mutualisation des risques. La dépendance dans les années qui viennent devra être pour
chacun préparée dans le temps.
La lutte contre la solitude.
La solitude est une des plus grandes fragilités de la vie dans nos sociétés. Notre société y
est indifférente. Elle devrait assumer la lutte contre la solitude, elle ne le fait absolument
pas aujourd'hui. Au contraire, nos règles administratives poussent à la solitude. Lorsque
deux personnes, ou trois, ou quatre, veulent se regrouper, pour se donner chaud, pour
s'entraider dans la crise, et que certaines d'entre elles reçoivent des minima sociaux, on
coupe les minima sociaux. Nous avons donc une politique qui incite à la solitude au lieu
d'inciter au rapprochement.
Je suis favorable à une politique publique qui incite au rapprochement, et qui lutte contre la
solitude. Avec 650, 750 ou 800 euros, quand on est tout seul, on ne vit pas. Mais avec deux
fois ou trois fois cette somme, le logement coûte moins cher à chacun, les courses sont
partagées, on se soutient, on se donne chaud.
C'est vrai pour les étudiants, par exemple. La solitude à l'université, les premières années,
c'est terrible : bien sûr, la majorité y échappe. Mais les autres, ceux qui ont tant de mal
avec les relations humaines, ceux qui n'ont pas confiance en eux, les timides que Brel a si
bien chantés, les chrysalides qui ne sont pas encore papillons, ou les papillons qui n'ont
pas encore les couleurs éclatantes, ceux-là se morfondent, y compris dans les résidences
étudiantes. La colocation, au contraire, permet de diminuer le coût du logement et en
même temps de soutenir, et de comprendre, et de rire ensemble.
C'est identiquement vrai pour les jeunes travailleurs qui ont si souvent du mal à se loger.
C'est vrai pour les personnes âgées. Il n'est pas vrai que dans l'avenir le choix ne sera
qu'entre la solitude, même chez soi, et la maison de retraite qui est si souvent inéluctable,
mais si souvent un déracinement. J'aborderai bien sûr dans un moment le sujet de la
dépendance. C'est un autre sujet, mais la solitude est souvent l'étape qui précède la
dépendance, et la solitude doit être combattue.
Je pense qu'un contrat de vie partagée, sans connotation de vie de couple, devrait être créé.
Il permettrait de sécuriser et d'encourager à la vie commune. Fiscalité ? Séparations ?
Intégration et lutte contre les discriminations
La République, c'est la solidarité, c'est un destin commun, c'est la volonté profonde de
vivre ensemble.
C'est pour cela que nous devons comprendre ce que représentent les discriminations vis-àvis
de nos concitoyens qui vivent dans les quartiers à mauvaise réputation, ou que la
couleur de leur peau, ou leur orientation sexuelle, ou leur origine ou leur nom ou leur
religion désignent comme différents. Ces discriminations existent, elles sont partout : au
travail, dans la vie quotidienne, quand on entre dans un magasin ou qu'on veut louer un
appartement. Elles sont un véritable poison pour notre société.
Pour y remédier, il y a bien sûr la loi, y compris la loi pénale et le travail qu'effectue le
Défenseur des droits. Mais je pense que nous n'avancerons pas sans une envie commune
de réussir, qui implique des actions volontaires de la puissance publique.
La priorité, c'est de mieux reconnaître les réussites issues, en particulier de l'immigration,
et de leur donner toute leur place dans la société. Cela commence par les médias, qui ont
un effet d'entraînement immense sur tout le reste. Je souhaite que le Conseil supérieur de
l'audiovisuel prenne pleinement en compte cet impératif et que les grandes chaînes de
télévision et de radio lui remettent chaque année un rapport rendant compte des actions
concrètes qu'ils mettent en oeuvre, en se fixant des objectifs chiffrés.
Ne nous le cachons pas, cette évolution passera d'abord par nous, ceux qui n'appartiennent
pas aux minorités visibles et ceux qui y appartiennent. Je crois aux vertus de l'éducation,
des campagnes de sensibilisation, je crois à l'engagement personnel de chacun pour que la
discrimination ou les préjugés racistes ne passent pas par lui.
Nous devons aussi démontrer à notre jeunesse que le travail et l'effort paient. Cela passe
par des bourses de mérite : elles doivent être généralisées. Peu d'investissements seront
plus utiles. Au fond, il s'agit d'encourager, comme dit Fadila Mehal, les leaders plutôt que
les dealers.
Égalité hommes/femmes
La France ne peut pas en rester à l'échec constant qui est le sien dans le domaine de
l'égalité entre hommes et femmes : 60ème en matière d'égalité civique, présence de femmes
au Parlement, plus grave encore en matière d'inégalités salariales, et travaux les plus
précaires, parfois les plus pénibles. C'est elles qui prennent de plein fouet les conséquences
perverses des pièges à bas salaires et de la fuite du « produire en France ».
Il y a une seule chose à dire : il faut que cela cesse !
La discrimination politique doit disparaître, et il n'est qu'une seule voie pour le garantir : le
changement de la règle électorale avec l'introduction d'une part proportionnelle non
marginale.
La discrimination salariale doit disparaître : des pénalités financières dissuasives et
effectives doivent régler la question.
Le changement du contrat de travail que j'appelle de mes voeux doit s'accompagner d'une
action décidée pour dissuader du temps partiel subi, en particulier dans les grands réseaux
de distribution.
Économie sociale et solidaire, associations
Rien n'est possible par l'État seul. Il est trop loin. Rien n'est possible par les collectivités
locales seules. Les administrations sont peu imaginatives. Je voudrais finir cette
intervention par un hommage rendu et une déclaration de confiance aux associations, ou
aux entreprises de l'économie sociale et solidaire. Ceux qui acceptent les règles et les
contraintes de l'économie normale, mais dont le but n'est pas le profit mais l'amélioration
de la société.
« le pouvoir est fait non pour servir le plaisir des heureux, mais pour la délivrance de
ceux qui souffrent injustement. » Abbé Pierre

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