dimanche 5 février 2012

Interview de François Bayrou pour le Dépêche du Midi


La Dépêche du Midi.

Interview de François Bayrou.

 

Que pensez-vous des propos de Claude Guéant selon lesquels «toutes les civilisations ne se valent pas» ?

Ces propos sont un dangereux détournement de pensée. Au premier abord, la réflexion paraît fondée. Les civilisations humanistes qui mettent la personne humaine au centre de leurs préoccupations sont plus justes et dignes de fierté que celles, par exemple, qui acceptent l'esclavage ou pire encore les sacrifices humains. Mais derrière ces propos de Claude Guéant, il y a autre chose : une volonté de dresser les sociétés les unes contre les autres. Ce qui est visé, c'est l'islam. Or un dirigeant politique dans un pays comme le nôtre devrait s'interdire d'exciter les sentiments du peuple dont il a la charge contre une partie importante de l'humanité et contre des concitoyens. Enfin, notre civilisation, matérialiste, vouée à l'argent, mérite souvent elle-même la critique.

Après l'annonce de votre candidature, vous avez effectué une percée dans les sondages et maintenant vous stagnez. Vous êtes déjà en panne ?

Nous venons de vivre trois semaines de monopolisation de tous les écrans par Nicolas Sarkozy et François Hollande. Le socle de ma campagne est fixé, et au contraire, les choix que je propose aux Français sont soutenus par de plus en plus de citoyens. En vérité, la question qui se pose est la suivante : est-ce que les Français sont condamnés à n'avoir devant eux que deux choix et se résignent à perpétuité à n'avoir que le parti socialiste ou l'UMP pour les diriger ? Cela, je vous le dis avec certitude, ils ne l'accepteront pas. Les appareils de l'UMP et du PS ont commis trop de fautes et trop d'erreurs pour qu'on leur confie la France à perpétuité. Dans les trois mois qui viennent le peuple français fera mentir ceux qui voudraient qu'on continue toujours comme cela.

Vous placez au centre de votre programme la lutte contre les déficits et la dette. N'êtes-vous pas en train de faire la même campagne qu'en 2007 en ajoutant le «produire français» ?

Je veux inscrire deux verbes au centre de cette campagne électorale : «produire» et «instruire»._Chaque famille française a besoin qu'on lui garantisse des emplois pour ses enfants et qu'on lui garantisse pour les plus jeunes une instruction qui tienne la route. Le verbe «instruire» personne n'en a parlé dans cette campagne. Au début de l'été, j'ai installé le verbe «produire», aujourd'hui, j'installe le verbe «instruire», et je n'ai pas de doute qu'il va attirer la préoccupation des Français.

N'êtes-vous pas en train de courir derrière François Hollande qui a fait de l'éducation l'un de ses axes de campagne ?

François Hollande n'a rien proposé pour l'Education, en dehors de la création de 60 000 postes qui sont un leurre, tout le monde le voit, et qui n'auront pas lieu.

Vous prônez des économies, mais vous ne dites pas où ? Quels secteurs et quels budgets seront concernés ?

Nous ne couperons pas à la hache dans les budgets, nous allons faire une chose inédite : décider que dans les deux années qui viennent nous ne dépenserons pas plus que cette année. Si cette discipline est respectée, dans deux ans, le déficit aura disparu parce que le mouvement de l'inflation remettra le budget à flots. Mais les salaires des fonctionnaires et les retraites devront respirer, cela signifie qu'il faudra économiser l'équivalent dans d'autres secteurs.

Lesquels ?

Dans tous les secteurs on peut faire des économies. Ce sera la responsabilité du gouvernement. Je suis certain qu'on gaspille à peu près partout, que les frais généraux de l'Etat son excessifs. Si on suit cette stratégie, nous n'aurons plus de déficits à la fin de 2014.

Est-il vrai que certains élus UMP sont en passe de vous rejoindre ?

Beaucoup d'élus UMP réfléchissent et me le disent. Mais c'est à eux de faire le choix. Cette semaine trois présidents de Conseils généraux et de nouveaux parlementaires ont annoncé qu'ils me soutiendraient. J'en suis très heureux et je respecte le choix de ceux qui viendront.

Mais ces soutiens ne vont-ils pas écorner votre image de centriste en vous déportant à droite ?

Pendant des années, on m'a accusé de me déporter à gauche. Cela suffit à relativiser ceux qui voudraient m'accuser de me déporter à droite. Je ne bougerai pas d'un millimètre sur la ligne qui est la mienne. Je n'ai pas bougé depuis des années malgré les menaces et les pressions dont j'ai été l'objet. Je suis sur la seule ligne qui permet de rassembler les Français et je m'y tiendrai.

Mais si vous êtes élu, comment ferez-vous pour composer un gouvernement d'union nationale après avoir dénoncé le bilan de Sarkozy et le programme de Hollande ? N'est-ce pas contradictoire ?

Le monde politique obéira au choix que les Français auront voulu et exprimé. Ce sont les électeurs qui sont les vrais patrons. Cette élection est géniale parce qu'elle permet aux Français d'élire un Président et ensuite, aussitôt, de former une majorité. Si, comme je le propose, ils choisissent d'enlever le pouvoir à ceux qui le détiennent depuis cinquante ans, afin de faire respirer la France, ils me donneront la majorité. Ce qui signifie qu'un grand nombre d'élus, de droite républicaine ou de gauche réformiste, accepteront ce mouvement d'unité nationale, se rapprocheront du centre, et ceux qui le refuseront seront au mois de juin renvoyés par les électeurs à leurs chères études.

Si vous n'êtes pas au second tour, ne serez-vous pas obligé de soutenir le candidat qui aura le plus de chance de gagner, pour éviter votre marginalisation ?

Si je me présente à cette élection, c'est pour être au second tour et pour l'emporter. En ayant conscience d'être le seul candidat qui peut enlever au PS et à l'UMP le pouvoir dont ils ont fait depuis des années un si mauvais usage.

Un sondage montre qu'en l'absence de Marine Le Pen à la présidentielle, Sarkozy et vous-même, vous bénéficieriez de cette situation. Cela vous arrangerait que Marine Le Pen n'ait pas ses signatures ?

A chaque élection présidentielle, on nous dit que le Front national n'aura pas ses parrainages, et il arrive toujours à les avoir. Pourquoi en serait-il différemment cette année ?

Ne misez-vous pas sur une effondrement de Sarkozy ?

Non. L'enjeu pour la France, c'est que le gouvernement soit sanctionné et que les Français sanctionnent en même temps le PS. Les deux partis qui nous ont conduits dans l'impasse par leurs choix successifs : multiplication des déficits et de la dette, désindustrialisation, abandon de l'école...

Vous dites que lors de cette présidentielle, vous vous sentez «plus prêt qu'en 2007». Qu'est ce qui a changé en vous ?

Sans doute suis-je plus serein face à la bataille politique et aux responsabilités qui pourraient m'être confiées. Je regarde davantage la France comme devant être rassemblée, et non pas opposée bloc contre bloc

Recueilli par Jean-Pierre Bédéï

 








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